L’odyssée de Pi

Un romancier en mal d’inspiration rend visite à Pi Patel, un indien qui vit au Canada et converti à de multiples religions pour qu’il lui livre le récit de son incroyable histoire. Après une jeunesse à Pondichery, comptoir français dans l’Inde des années 50 et élevé dans le zoo familial, le jeune homme part avec sa famille pour démarrer une nouvelle vie au Québec. Mais le bateau fait naufrage et Pi se retrouve en pleine mer sur un bateau de sauvetage avec pour seule compagnie un zèbre, une hyène, un Orang-outan et Richard Parker, un féroce tigre du Bengale. Un film entre conte initiatique pour enfant et récit déchirant sur la faculté de résilience de l’homme, le tout saupoudré d’un mysticisme magique, d’images d’une beauté irradiante et d’effets spéciaux à couper le souffle. The life of Pi (titre original)  promet d’être un sérieux concurrent aux Oscars.

Adaptation du roman de Yann Martel, voici un film touché par la grâce, au sens propre puisqu’il interroge notre capacité à croire. L’odyssée du jeune Pi est toute entière parcourue d’une aura mystique, qui ne cherche pas à mettre en avant telle ou telle manière de croire en l’incroyable, où en une puissance métaphysique incarnée. Au contraire, la philosophie qui s’en dégage offre à chacun une vraie liberté d’interprétation et mêle différents éléments issus des mythes hindous comme le Mahâbhârata à une vision panthéiste de l’univers, croyance en une puissance suprême capable de se manifester à travers les éléments. Nous nageons en plein récit parabolique, où la foi du personnage est sans cesse mise à l’épreuve. Comment croire, seul et abandonné de tous ceux que l’on aime ? Reste-il encore quelque chose ? Faut-il se battre jusqu’au bout pour sa survie ? Le désert n’est plus de sable mais d’une eau qui s’étend à perte de vue, et la traversée promet d’être orageuse. Ang Lee donne à voir le monde dans toute sa cruauté et son imperfection, et semble paradoxalement être un profond humaniste. Son héros peut se voir comme un être universel, sorte de condensé de chaque homme.

Le nom de Pi n’est pas anodin, puisqu’il semble renvoyer aux ramifications infinies de l’univers et de tout être vivant qui le compose. La maxime « tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir » n’a jamais été aussi bien illustrée, Pi étant symboliquement le dernier espoir de l’humanité. Il est à la fois Noé et Christ sauveur, et recueille sur son arche le bien et le mal présent en chacun d’entre nous, mal présent au cœur de la nature. Au passage, le réalisateur rappelle que cette nature, même domestiquée, ne peut être totalement domptée et que les forces qui sont à l’œuvre dépassent notre entendement. Ainsi, on assiste tantôt tétanisés, tantôt émerveillés, à l’expression de cette nature toute puissante. Le récit final, qui nous apprend ce qui s’est réellement passé, donne un sens à tout ce qui a précédé, et nous touche au plus profond. Pi est un martyre et traîne son passé comme une croix. Trop lourd à porter, il s’est inventé une histoire merveilleuse à laquelle on a envie de croire, quitte à faire fi de ses incohérences. Il est profondément humain, et capable d’une bonté sans borne. Au final, seul l’espoir et sa capacité à transformer l’horreur en conte magnifique permettent sa renaissance. Finalement, pourquoi ouvrir la boîte de Pandore, et découvrir la résolution du mystère alors que les deux histoires racontent la même chose, dans des versions différentes ? Comme dirait Obi Wan, tout n’est qu’une question de point de vue.

Ang Lee évite de sombrer dans le pathos et offre des images d’une grande poésie et d’une incroyable force qui font parfois penser aux délires visuels d’un mourant (on a même le droit à un clin d’œil au très métaphysique 2001), sans cesse menacées par l’immersion d’une réalité cruelle. On sent l’influence bouddhiste et la théorie du yin et du yang, chaque élément trouvant toujours son exact opposé. En situation de crise, c’est l’instinct primaire qui prend le dessus et nous rapproche inexorablement de l’animal. Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour sa survie ? Enfermé dans sa dualité, est-il capable de dompter sa nature et de ne pas laisser gagner sa part d’ombre ? Entre bien et mal, le choix n’est pas toujours aisé, et la limite est parfois ténue. Mais ce qui nous différencie de la bête, c’est la conscience et le jugement qui en découle, une expérience que nous vivons à travers Pi, dans son combat avec le tigre mais surtout dans son combat contre lui-même. Avec L’odyssée de Pi, Ang Lee prouve qu’il est possible de faire un film grand spectacle en y mêlant une réflexion intime d’une grande sensibilité. L’un des films les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir.

 Tristan Gauthier

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